- OTOÉMISSIONS ACOUSTIQUES
- OTOÉMISSIONS ACOUSTIQUESOTOÉMISSIONS: les otoémissions acoustiquesLes otoémissions acoustiques sont des sons de faible intensité engendrés par l’oreille interne, puis transmis par la chaîne des osselets (étrier, enclume, marteau) au tympan et émis dans le conduit auditif externe, où ils peuvent être enregistrés par un microphone miniaturisé. Découvertes en 1978 par le Britannique D. T. Kemp, les otoémissions ont permis de mieux comprendre le fonctionnement du système auditif périphérique, car elles permettent une nouvelle approche de l’étude de l’oreille interne, aussi bien sur le plan expérimental, chez l’animal, qu’en clinique otologique. De nombreuses inconnues demeurent, concernant aussi bien le site exact de genèse de ces phénomènes que leurs applications cliniques en audiologie; la seule certitude admise par la plupart des auteurs est l’intérêt majeur des otoémissions acoustiques provoquées dans le dépistage de la surdité de l’enfant. Cette application se traduit par l’apparition du terme “otoémission” dans les nouveaux carnets de santé de l’enfant en vue du dépistage de la surdité en période néonatale.Un phénomène bizarreDès 1948, le radioastronome T. Gold avait pressenti leur existence à partir de considérations théoriques. D’après lui, l’oreille interne se comporte comme une batterie de filtres qui décompose le son en ses composantes spectrales, et ce avec un pouvoir de résolution qui dépend de la finesse de chacun des filtres. Or les liquides de l’oreille interne, par leur viscosité, altèrent la sélectivité de ces filtres. Pour assurer une sélectivité fréquentielle élevée, comme celle qui est observée chez les mammifères, Gold soulignait la nécessité d’un filtrage actif intracochléaire, lequel ne peut reposer que sur des cellules qui soient non seulement réceptrices sensorielles, mais aussi capables de réinjecter de l’énergie vibratoire dans le système. Cette opération, relativement banale en physique, a pour inconvénient sa tendance à l’auto-oscillation. Par exemple, une solution de continuité dans la batterie de filtres pourrait donner lieu à l’émission d’un son continu en l’absence même de toute stimulation acoustique extérieure: c’est le phénomène d’otoémission spontanée. Gold croyait pouvoir relier ce phénomène objectif à la perception subjective d’acouphènes par certains patients porteurs de lésions cochléaires; cependant, ses enregistrements cliniques ont échoué. En fait, on en connaît maintenant la raison, les otoémissions spontanées existent, mais elles ne sont présentes que chez les sujets normaux; ce phénomène n’est pas perçu par le sujet lui-même. Leur incidence varie chez l’homme avec l’âge: près de 70 p. 100 des oreilles de nouveau-nés et 40 p. 100 des oreilles des sujets adultes ont des otoémissions spontanées.En 1978, Kemp découvrait les otoémissions acoustiques provoquées par des sons extérieurs. À la même époque, plusieurs auteurs mettaient en évidence la capacité des cellules ciliées externes de l’organe de Corti à se contracter en présence de divers stimuli. L’hypothèse de Gold était par conséquent vérifiée; les otoémissions sont considérées comme le reflet de l’ensemble du mécanisme actif prévu par Gold, et donc comme le témoignage du bon fonctionnement de l’oreille interne.Depuis quelques années, les otoémissions sont utilisées en médecine afin d’explorer l’oreille interne, notamment en période néonatale. Il existe deux types principaux d’otoémissions acoustiques: les otoémissions provoquées et les produits de distorsion acoustique.Otoémissions provoquéesLes otoémissions provoquées, contrairement aux otoémissions spontanées, n’apparaissent que lorsque l’oreille est stimulée par ce qu’on appelle communément un clic, un son bref et de large spectre. Ce type d’otoémission s’enregistre avec une sonde acoustique miniaturisée comprenant un microémetteur, au moyen duquel l’oreille est stimulée, et un microphone récepteur qui enregistre l’otoémission; elle est placée dans le conduit auditif externe de manière non traumatisante. L’enregistrement dans le conduit auditif après la stimulation comprend, durant les 2,5 premières millisecondes, le son correspondant au clic de la stimulation puis un second son, de très faible intensité, détecté pendant une vingtaine de millisecondes: c’est l’otoémission provoquée. Ce délai entre la stimulation et l’enregistrement de l’otoémission provoquée correspond au temps nécessaire pour que la stimulation atteigne l’oreille interne, engendre l’otoémission puis pour que celle-ci regagne le conduit auditif externe. L’analyse spectrale de l’otoémission permet d’en connaître les principales fréquences; elles sont comprises entre 700 hertz et 5 000 hertz.Les otoémissions provoquées sont présentes chez presque tous les sujets normo-entendants. Leur amplitude et leur fréquence varient selon l’âge du sujet: plus le sujet est jeune, plus l’amplitude est grande et plus leur gamme spectrale est étendue. Les propriétés de ces otoémissions sont profondément modifiées lorsqu’il existe une surdité de perception secondaire à une pathologie de l’oreille interne affectant les cellules ciliées de l’organe de Corti. Ainsi, lorsque le niveau de la perte auditive dépasse 30 décibels, il n’est plus possible d’enregistrer une otoémission provoquée. Ces constatations cliniques ont été confirmées par des travaux expérimentaux qui ont permis d’attribuer aux cellules ciliées externes de l’organe de Corti un rôle essentiel dans la genèse des otoémissions provoquées. Il semble possible de modéliser de façon simple le phénomène de l’otoémission provoquée: chaque cellule ciliée externe de l’organe de Corti contribuerait à la formation de l’otoémission, et la somme de ces contributions individuelles permettrait la création d’une otoémission suffisamment ample pour être enregistrable dans le conduit auditif externe. Ainsi, sur le plan physiopathologique, plus les cellules ciliées externes seraient lésées (traumatisme sonore, ototoxicité, vieillissement de l’oreille interne...), plus l’amplitude de l’otoémission diminuerait – jusqu’à disparaître lorsque ces pertes cellulaires amènent à un seuil auditif de 30 décibels.Les otoémissions provoquées constituent actuellement le meilleur moyen de dépister une surdité en période néonatale. En effet, en moins de trois minutes, de manière non traumatisante – le test est réalisé durant le sommeil postprandial de l’enfant, qui ne se réveille pas durant l’examen –, il est possible de déterminer si l’audition d’un enfant est normale ou non. La présence d’une otoémission provoquée signe le bon fonctionnement de l’oreille moyenne et de l’oreille interne de l’enfant; son absence doit conduire à des investigations différentes afin de confirmer la surdité et de localiser le site de l’atteinte. Il convient néanmoins de noter que les otoémissions provoquées ne testent pas les voies auditives centrales; toute suspicion d’atteinte auditive neurologique doit conduire à la pratique de tests différents, notamment des potentiels auditifs du tronc cérébral.Produits de distorsionLe terme “produit de distorsion” a été employé en acoustique bien avant la découverte par Kemp des otoémissions. En effet, dès 1714, Giuseppe Tartini découvrait, par une méthode psychoacoustique, que lorsqu’il écoutait deux sons purs, de fréquences proches, émis simultanément, il entendait un troisième son. Les produits de distorsion, tels qu’ils sont actuellement conçus dans le cadre du phénomène d’otoémission, sont des sons émis par l’oreille interne lorsque celle-ci est stimulée par deux sons continus et de fréquence pure f1 et f2, dits “primaires”. L’origine des produits de distorsion est complexe. D’une manière générale, tout système physique ayant un comportement non linéaire génère des produits de distorsion lorsqu’il est stimulé par deux sinusoïdes. De nombreux travaux expérimentaux ont permis de conclure que les produits de distorsion ont pour origine l’oreille interne; ils disparaissent en cas de lésions des cellules ciliées de l’organe de Corti après un traumatisme sonore ou un traitement ototoxique. Or les propriétés physiologiques de l’oreille interne des mammifères ont un comportement fortement non linéaire, ce qui explique la possibilité de création de tels phénomènes dans la cochlée.Les sites précis de genèse des produits de distorsion dans l’oreille interne sont encore mal connus. Néanmoins, il apparaît clairement que deux types différents de produits de distorsion peuvent être identifiés. Après une destruction expérimentale et sélective des cellules ciliées externes de l’organe de Corti, les produits de distorsion générés par des sons de faible intensité (inférieure à 60 dB SPL, sound pressure level ) disparaissent, tandis que les produits de distorsion générés par des sons de forte intensité (supérieure à 60 dB SPL) persistent. Ainsi, un même produit de distorsion résulterait de la mise en jeu de structures différentes selon l’intensité de la stimulation: à faible intensité de stimulation, les cellules ciliées externes joueraient un rôle majeur; à forte intensité de stimulation, les autres structures de l’oreille interne pourraient être impliquées. L’étude du phénomène “produit de distorsion” permet donc d’aborder l’étude de la physiologie de la cochlée au niveau cellulaire.Les produits de distorsion sont des combinaisons fréquentielles des fréquences primaires (n f1 — m f2, n et m entiers). Le produit de distorsion le plus ample chez tous les mammifères a pour fréquence 2 f1 — f2. Les autres produits de distorsion ont une amplitude plus faible (2 f2 — f1, f2 — f1). L’enregistrement des produits de distorsion est effectué en plaçant, dans le conduit auditif externe des sujets, une sonde miniature comprenant trois parties: deux microémetteurs, qui envoient les deux sons stimulants; un microphone récepteur, qui enregistre les sons présents. Le son recueilli est analysé sur le plan spectral afin d’en extraire les diverses fréquences.L’intérêt majeur de l’étude des produits de distorsion résulte des possibilités de faire varier la fréquence des sons primaires. Les deux fréquences primaires doivent être proches l’une de l’autre, le rapport optimal étant voisin de 1,22, d’où diverses possibilités de stimulation à des fréquences différentes.La gamme de cochlée étudiée est, pour chaque couple de fréquences primaires utilisées, réduite à quelques centaines de hertz. Il est alors possible d’étudier l’oreille interne fréquence par fréquence. Cette grande sélectivité fréquentielle est un élément essentiel pour le développement futur de cette technique. De plus, il est possible d’étudier la cochlée sur la gamme de fréquence allant de 800 hertz à 8 000 hertz. Les applications cliniques de produits de distorsion acoustique sont actuellement en cours d’évaluation. Les deux propriétés essentielles de cette exploration fonctionnelle (spécificité fréquentielle et analyse de la cochlée au niveau cellulaire) ont un intérêt clinique prometteur.
Encyclopédie Universelle. 2012.